Manhattan (0000),Used

Ceci n'est pas un objet mort mais une explosion souterraine dont les consquences sismiques, personnelles et littraires continuent se faire sentir de nos jours. quel point il est difficile d'en parler comme livre sous les dcombres, on le comprendra. Cette explosion, mentale peuttre et culturelle, a lieu en 1965 dans les Bibliothques de manuscrits rares des Universits de Yale, Buffalo, Columbia, et dans les lieux envotement de Manhattan, Central Park, autour de la Statue de la Libert. Ces lieux ont des pouvoirs de fascination, appels ici ' puissancesautres ' car ils sont, quant New York, son histoire et sa figure physique, exactement comme les diffrents lieux fatidiques de l'Odysse (l'entre de Hads o sont convoqus les morts toujours encore vivants, par l'opration du versement de sang, le mont Circeo, o les tres humains, jadis comme aujourd'hui, sont changs en porcs et viceversa, avant de l'tre une autre fois dans l'vangile). Ces lieux trangement rels qui dressent leurs formes monumentales dans l'air amricain, cette gare de Grand Central dont la coupole de verre couvre le ciel et o tout au monde peut arriver depuis le commencement de la passion jusqu'au crime ou la fin du monde ont des racines qui plongent trs profond, jusqu'aux enfers des passions, jusqu'aux fonds ocans de la mmoire. On ne s'y promne pas impunment. Ils sont peupls depuis l'origine de souvenirs de rves et de dmons. On y vient mourir pour ressusciter, disparatre, disparatre jamais ou reparatre dans un rcit comme c'est le cas ici, depuis le XVIIIe sicle, depuis Manon Lescaut en passant par Karl Rossman, le personnage de l'Amerika de Kafka dont Benjamin Jonas, petit frre de ma grandmre, tait le grand copain. Parmi tous les Jonas la recherche de la Baleine dans le ventre de laquelle accomplir les rites du Banissement, se trouvait alors un Gregor, personnage rellement fabuleux et ininterprtable de cette tentative de rcit. Un jour de 1964 Manhattan, au tournant d'un destin bien jeune et dj marqu par la rptition de la mort d'tres chers toujours appels Georges, entre la jeune femme qui aimait par dessus tout au monde la littrature et le jeune homme l'esprit copi dans les oeuvres les plus ensorcelantes de la Bibliothque, se produit l'Accident mortel. La fatidique scne primitive, celle du ' mauvais oeil ' se produit en ralit (exactement comme si elle avait t crite par Edgar Poe) dans la tombale Bibliothque de Yale. Parfois, pour une poussire dans l'oeil, le monde est perdu. Ensuite tout va trs trs vite, car, comme les Amants, le taxi des fous dvale la pente qui mne l'Enfer plus vite que l'eau qui se jette dans la gorge. La Littrature en tant que Toutepuissanceautre, l'Idole invente, est l'autrepersonnage principal de cette aventure. La littrature rongeait notre raison comme les USA usent la cervelle. Tout se passe dans l'avantoeuvre, saison prhistorique o les personnages pris des grands auteurs morts se voient dj en rve devenus livres, volumes, s'approchent de l'' Oeuvre ' rve pas de loups, pas de fous s'approchent de l'Auteur ador par l'Imitation, calque, introjection magique. L'imitateur ' fait ' Kafka, se fait Kafka, se suicide Kafka intgralement, jusqu'aux crachements de sang, jusqu' l'agonie. Ladessus entre le troisime personnage de cette tempte : les Lettres, prhistoire de toute littrature, oeuvre supplmentaire, ou plutt manoeuvre Les lettres que vous crit quelqu'un, crivait Proust, dessinent une image assez diffrente de la personne qu'on connat pour qu'elles constituent une deuxime personnalit. Lettres : feintes. Bientt la deuxime personnalit supplante totalement la personne, qui n'est au fond vraiment personne, rien qu'un petit tre de quatre sous, pas plus consistant qu'Elpnor (qui ? ' Elpnor ' , un moins que rien compagnon d'Ulysse, mort vingtsept ans sans avoir vcu). La Deuxime Personnalit brille maintenant de tous les feux tragiques. Nous n'avons d'yeux que pour Lui, ce hros improvis, bouissant, inaccessible, ce presqu'incroyable Gregor. On n'a mme plus d'yeux du tout. Je ne discerne plus le vrai du faux, le simulacre de la ralit. Je crois ce que l'on ne croit pas. On voit ce que l'on ne voit pas. Je n'aime pas qui j'aime ou bien c'est que j'aime qui je n'aime pas. Le Verbe prend le pouvoir absolu sur les sens. La Littrature gagne, elle rpand ses puissances illusionnantes sur le monde, dans les rues, dans les veines du temps, sur la peau du corps. Ce qui est ' crit ' est. Ce qui est n'est pas. Il devient naturellement insupportable la personne qui a survcu au brasier de Manhattan, de retourner sur les lieux de l'endmencement littraire. Chaque fois que j'essaie d'voquer la chambre 91 de l'Htel King's Crown o se sont tournes vives les squences de l'enchantement, je renonce, je suis nouveau f